Jan. 2016 / GUITARIST ACOUSTIC N°50 / Jean-Pierre FAVINO, un nom prestigieux de la lutherie française par Jacques Carbonneaux
Voilà presque 70 ans que la production des guitares Favino, sous deux générations, continue de marquer de son empreinte l’histoire de la guitare artisanale en France. Après Jacques Favino, qui s’installa à Paris en 1946, c’est son fils Jean-Pierre qui le rejoint en 1973. Jaques partira à la retraite cinq ans après. L’une des plus marquantes collaborations fut celle qu’ont entretenue père et fils avec l’immense Georges Brassens. Beaucoup d’autres artistes de variétés et de guitaristes professionnels ont fait et font encore confiance aux guitares Favino.
Depuis le déménagement de son atelier en 1990 à Castelbiague, en Haute-Garonne, Jean-Pierre a trouvé son havre de paix pour continuer à produire des guitrares acoustiques : folk, jazz, classique, 12 cordes, basse, mais aussi et surtout des créations adaptées aux exigences des musiciens.
Quel a été l’élément déclencheur qui t’a incité à suivre les traces de ton père ?
C’est venu avec le temps... j’ai pratiqué la guitare vers treize ans, et à partir de seize ans, quand ce n’était pas aux Arts Appliqués, c’est à l’atelier que je faisais fonctionner mes mains : mon père me donnait à préparer des “parties” de guitares. De là m’est venue l’envie d’en mener une jusqu’au bout, puis il y eut les suivantes...
Etre le fils de Jacques Favino, devenu très vite le luthier du showbiz, n’a t-il pas été une contrainte pour affirmer ta propre identité ?
L’apprentissage a été le suivant : “je te montre comme on m’a appris et ensuite tu trouveras ta main”, la phrase clé qui m’a évité de vouloir faire ressembler mon travail à celui de mon père ou de vouloir le dépasser. Les clients faisaient des comparaisons, nous non.
Tu es resté dix-sept ans rue de Clignancourt à Paris, avant de partir en région Midi-Pyrénées. Cette décision était lourde de concéquences pour la clientèle que l’atelier parisien avait pu fidéliser. Pourquoi ce choix et quelles ont été les différentes réactions des mucisiens concernés ?
Certains m’ont tenu rigueur d’avoir quitté Paris, et je ne les ai pas revus ; d’autres m’ont suivi et je les en remercie. Les quatre premières années furent un peu difficiles. La clientèle se renouvellent au fil des ans, des enfants de guitaristes que mon père a servis m’amènent à régler ou restaurer l’instrument qui leur revient ! Tout arrive... la vie est dans la nature, pas en ville, ça m’a pris tout petit. J’attendais l’opportunité.
Tu as été à l’origine des trois évents sur la table. Quelles ont été tes réflexions pour en arriver à cette innovation ?
Pour proposer une autre sonorité “folk”, mon idée était d’allonger la surface vibrante avant le chevalet et, par quelques modifications du barrage, d’obtenir plus de relief entre les basses et les aiguës. Enfin, au lieu de réaliser une bouche ovale étirée en D comme pour la Maccaferri, je l’ai divisé en trois.
Certains luthiers ont réussi, au bout de quelques années, à sculpter un son. Fais-tu partie de ceux qui imposent un son ou de ceux qui sculptent le son désiré par le client ? Quelle est ta philosophie de luthier, sur le son, sur l’innovation et la tradition ?
En tant que constructeur de guitares sur mesure, je suis au service de celui qui se sert de l’instrument et je tente, si j'en ai la demande, d’approcher la sonorité souhaitée, c’est une partie du métier qui m’a toujours passionné. Il est difficile de proposer du “nouveau” bien que les idées ne manquent pas.
Pour un musicien, accepter de se montrer avec un instrument un peu différent demande un peu d’audace ; c’est certainement un problème pour beaucoup de facteurs d’instruments, pas seulement pour la guitare, bien qu’elle soit privilégiée, dans le sens où elle est un des rares instruments qui se décline pour pratiquement chaque style de musique.
As tu encore des demandes de modèles Brassens ?
Oui, les amateurs de guitares découvrent que ce modèle, avec son timbre reconnaissable, est très polyvalent et permet d’aborder pratiquement tous les styles, en accompagnement, au médiator, à l’arpège, en picking... Le jeu en est très confortable car il est équipé de cordes métalliques très souples de chez “Argentines” sur un diapason légèrement plus court que celui pour lequel ces cordes sont conçues. Ce modèle est encore à découvrir.
Quel regard portes-tu sur la lutherie depuis une quinzaine d’années et sur toutes les actions associatives en France (APLG) et en Europe (EGB) et les nombreux salons qui fleurissent ?
Depuis quelques années, je me suis tenu un peu loin des actions autour de la guitare, j’ai passé la plupart de mon temps à l’établi... Le nombre de luthiers a été multiplié par six en quarante ans, et les jeunes qui s’y collent ont un réel talent. Ils ont mis la barre très haut, je leur souhaite du courage ! 2016 sera le 70è anniversaire de la maison Favino, je souhaite m’inscrire sur un salon pour fêter ça.