98 / French Guitar - Jean-Pierre Favino, luthier Père / Fils par Max Robin
C'est en 1973, à l'age de 21ans, après avoir terminé les Arts Appliqués, que Jean-Pierre Favino a véritablement commencé le métier, en entrant comme ouvrier chez son père, Jacques Favino, que tous les amateurs de " guitares jazz type Selmer " connaissent. Jean-Pierre " bricolait " évidemment depuis longtemps à l'atelier, donnant des coups de mains, regardant, écoutant, aiguisant son sens de l'observation, s'initiant aux rapports humains…
Mais son père ne l'a jamais pressé. Il aurait même plutôt eu tendance à le décourager : " tâche d'avoir autre chose que ça sous la main " disait-il. La seule exigence du père à l'égard du fils fut de lui imposer des cours de guitare lorsque celui-ci eut demandé un instrument, à l'age de 13ans. " Si un jour tu fais des guitares, tu me remercieras. Ce sont les musiciens qui vont t'apprendre le métier… "
Entre 1973 et 1978Jean-pierre travaille avec son père, qui très progressivement, lui " passe la main ". La stimulation est venue d'un père " qui s'est plutôt effacé. Tout doucement il m'a laissé le territoire, de fait, il n'y a donc pas eu de " première guitare " :nous travaillions en équipe de quatre à l'époque, et je voulais connaître toutes les opérations…J'ai commencé à cesser de faire référence à Jacques, à ne plus penser systématiquement : tiens qu'est-ce qu'il ferait à ma place ?, à partir du moment où j'ai eu moi-même des enfants. " Tu trouvera tes mains " m'avait-il dit " …
Après le départ de son père en 1978, Jean-Pierre conservera les étiquettes Jacques Favino jusqu'en 1981, année de son inscription officielle au répertoire des métiers.
Luthier / Philosophe
Pour Jean-Pierre Favino, le métier est double. " D'un coté je suis au service de la personne ; je fais ce qu'on me demande de faire ; je fabrique un instrument de travail qui va servir pour la musique et le public. J'aime ainsi être au service des gens, fabriquer la guitare qu'ils ont envie d'entendre. Mais d'un autre côté, j'aime aussi inventer, mettre en pratique de nouvelles idées, proposer quelque chose de neuf, comme le musicien lui-même propose quelque chose au public .J'ai plaisir alors à fabriquer d'autres instruments, qui pourront " ouvrir des fenêtres " et influencer parfois la musique
Le bois est un matériau très malléable. La guitare est une spécialité qui commence à être " cernée ", mais il y a encore des tas de choses à faire. Le problème des expériences, c'est qu'elles mobilisent un temps pendant lequel… je ne me " nourris " pas ! Tout au moins pas directement. P
our avancer, il faut oser de temps en temps : il faut que je sorte ce truc-là !
Alors je fabrique…Faire est un verbe fabuleux. Les mains sont les premiers outils ".
Temps / Espace
" Très tôt, j'ai eu la volonté de travailler seul, dans le calme, ce qui était impossible à Paris, car les gents entraient et sortaient de l'atelier quand ils en avaient envie. De 1984 à 1990, J'avait trop de choses à faire en même temps : répondre au téléphone, recevoir les clients, réparer, fabriquer, accueillir les musiciens qui passaient faire le boeuf … C'était parfois un grand plaisir, mais je n'avançais pas. J'avais besoin de travailler dans le calme pour mettre mes idées en application ; un besoin de concentration et non de conversation !
Depuis longtemps j'avais envie d'habiter dans la nature. Dès que j'ai eu l'opportunité je l'ai saisie. C'est un choix de vie qui comporte ses risques, ses inconvénients, mais je ne le regrette pas. Je reçois maintenant sur rendez-vous, je me rends disponible. Par ailleurs, je suis ma clientèle trois jours par mois à Paris, chez Luc Degeorges. 31, rue de Reuilly dans le 12 eme On peut aussi me voir à Toulouse chez François Artige, 12 bis avenue de Lyon, près de la gare Matabiau.
La lutherie suppose un rapport au temps différent. Pour faire ce métier, il faut de préférence être manuel et ensuite être très patient " Il n'y a que ceux qui ne font rien qui ne se gourent jamais, disait mon père. C'est en te trompant que tu vas apprendre ". " Selon moi, il n'y a pas vraiment d'erreur, ni de hasard. Tu fais quelque chose, et tu obtiens un certain résultat. En fonction de ce résultat, tu décide ou non de faire autrement, c'est tout. C'est ma façon de penser.
Fabrication / Intuition
Ma production aujourd'hui est constituée en majeur partie du modèle jazz, qui marche bien depuis les années 60. Dans les années 70, il y a eu l'époque folk. Nous étions les seuls en France : la première douze cordes française est sortie de l'atelier Favino ! J'en fais encore de temps en temps. Je fabrique aussi des guitares classiques et des modèles " Brassens ", une guitare très polyvalente. Je construis une à deux guitares par mois. Pour moi, c'est un bon rythme
Je travaille toujours sur un épicéa que j'ai acheté quand j'avais 22 ans et j'en ai 45 ! Il m'en reste encore pas mal. J'ai aussi de l'érable et de l'acajou que j'avais acheté à cette période- là , plus des restes qui me vienne de Jacques. De temps en temps, je rachète des lots. Le bois n'est pas pour moi un sujet d'inquiétude. Ceux que j'utilise ont au moins 10 ans d'âge, entreposés chez moi à couvert. Parfois je les retourne, je les bouge un peu pour savoir où j'en suis
Chaque luthier a un son, se distingue par une particularité sonore et un abord physique de l'instrument différent, lié au poids, àà la préhension… Pour les musiciens, je pense que c'est d'abord le son qui prime. Le travail sur mesure me conduit aussi à privilégier le confort de jeu,outre le souci esthétique auquel je suis également sensible
En ce qui me concerne, j'ai la " main verte " mais la main électrique. J'ai essayé à une époque, mais " à chacun son métier "
Je travaille plus à l'intuition qu'en mesurant. J'aime l'expérimentation. On se doute de ce que ça va donner, mais on ne sait pas exactement… Le moment où l'on met les cordes est toujours assez jouissif ! Si la guitare ne plait pas, j'en refais une.
Il faut savoir qu'un instrument " s'assoit ", qu'il se fait avec le temps. Le son est jeune au dé part, il faut jouer beaucoup pour le " faire ". C'est quelque chose que les violonistes connaissent bien.
Pendant que je fabrique un instrument, je pense à la personne à qui il est destiné ; je considère cette personne-là . L'invisible, c'est ce qui se passe entre les gents. Je vis avec ce sentiment-là toujours. C'est pour cela que j'aime croiser la personne avant, ou simplement connaître son écriture. Je fais de la graphologie sans le savoir…